vendredi 3 avril 2009

Les services secrets marocains en action
le Maroc a-t-il les moyens nécessaires d'autodéfense face à la mondialisation de la violence intégriste. Un dispositif qui converge vers un mot magique, objet de crainte et de fantasmes, de mystères et de mythes: le renseignement.
Le doute n'est plus permis, le Maroc est directement concerné par le terrorisme international. Base de repli, sphère d'endoctrinement et de recrutement, terrain où s'élaborent des projets d'actions terroristes proches ou lointains, peu importe. Le fait est que depuis les attentats du 11 septembre 2001, les informations en provenance d'Afghanistan, puis de Guantanamo où sont rassemblés des captifs talibans, charrient régulièrement des noms d'intégristes marocains impliqués dans la croisade sanglante de Ben Laden.Ils seraient dix-huit Marocains, parmi les six cents prisonniers sur la base cubaine transformée en immense camp de concentration à ciel ouvert et tout en barbelés. Piétaille de fusillers ou commissaires religieux, dix-huit c'est à la fois peu et beaucoup.Toujours est-il que la toute dernière de ces informations est non seulement la meilleure, mais la plus inquiétante.
Spectre
Il s'appelle Abdellah Tabarak. Il est marocain. Il a été arrêté lors de l'attaque américaine contre les montagnes de Tora-Bora, dernier carré de résistance des Talibans. Garde du corps de Ben Laden, il est présenté comme l'homme qui a permis à celui-ci d'échapper à la gigantesque souricière tendue par l'armée et les services américains, après que l'homme de confiance ait couvert jusqu'au bout la fuite de son chef spirituel.Son rôle décisif dans l'éclipse énigmatique du milliardaire saoudien a été récemment révélé par le Washington Post et Seattle Times.On y apprend que la véritable fonction de Abdallah Tabarak n'a été dévoilée qu'après interrogatoire par les agents des services secrets marocains qui ont spécialement fait le déplacement à Guantanamo. Spectaculaire, sensationnel, rocambolesque, mais édifiant.Sont surtout édifiés ceux qui avaient encore quelques faux scrupules sur la réalité du danger intégriste, allant jusqu'à considérer les opérations d'interception sécuritaire comme de l'intox policière à partir de montages fictifs et pour des objectifs électoraux. Sont également appelés à quitter leur nuage béatifiant, ceux qui ergotaient sur une impossible contagion intégriste, à partir d'une construction intellectuelle baptisée “l'exception marocaine". Cette position esthétique est battue en brèche.Car, si l'on ajoute à l'odyssée de Tabarak l'épisode de la cellule dormante d'Al Qaïda, les gesticulations parfois meurtrières de la Salafia al Jihadia, et pas plus tard que le jeudi 23 janvier 2003, l'arrestation, en Italie de cinq Marocains munis d'explosifs prêts à servir. On en déduit, effectivement, que le Maroc se trouve bel et bien dans le spectre du terrorisme mondial.
“Atouts!”
Il n'y a pas péril en la demeure, loin s'en faut, mais les indicateurs sont alarmants. Pour éviter de basculer dans la psychose, on pourrait se rassurer en estimant qu'il ne pouvait en être autrement, de par notre proximité par rapport à l'Occident européen, à la pointe extrême du monde arabo-islamique; de par aussi une grande liberté de circulation des biens et des personnes, étrangers compris et étrangers surtout.N'empêche que ces facteurs-là sont précisément autant “d'atouts" de fragilisation pour des professionnels, comme pour des apprentis intégristes.On en arrive légitimement à se demander si le Maroc a les moyens nécessaires d'autodéfense que lui imposent sa position géographique et sa vocation de pays ouvert sur le monde.

Chevauchement

Des moyens en structures spécialisées, en compétences humaines et en budget de financement. Un dispositif qui converge vers un mot magique, objet de craintes et de fantasmes, de mystères et de mythes: le renseignement.Le renseignement pour se pémunier, le renseignement pour prévenir, le renseignement pour anticiper, le renseignement pour contre-carrer; bref, le renseignement comme outil de sécurisation du territoire et de la population. Mais aussi le renseignement dans ses nouvelles dimensions économiques, scientifiques et technologiques; des dimensions qui rompent avec l'ancienne conception, exclusivement politique. Les structures spécialisées, le Maroc en a toujours eu. À en faire la liste exhaustive, on se demande même s'il n'y a pas quelques redondances de prérogatives, quelques chevauchements de prérogatives et quelques conflits objectifs de compétence. Entre la DST (Défense et surveillance du territoire); la DGED (Direction générale des études et de la documentation); les RG (Renseignements généraux) de la sûreté nationale et ceux de la gendarmerie royale; les 2ème et 5ème bureaux des Forces Armées Royales, la toile sécuritaire n'est pas seulement complète, elle peut paraître touffue et difficilement discernable.D'aucuns diraient tentaculaire, envahissante, tant le Maroc passait pour “un pays fliqué", à quadrillage policier de “grande proximité"! À tel point que le Maroc était devenu dispensateur de “savoir-faire" sécuritaire auprès de pays d'Afrique et du Moyen Orient.

Éthique

Les sollicitations persistent, mais les temps ont changé et l'ancien “savoir-faire", frappé de péremption pour “droits d'homisme", a dû être actualisé, revu et corrigé, toujours sous les mêmes sigles.Toutes ces administrations, un peu spéciales par nature, sont dirigées par des militaires, à l'exception des services de renseignements de la sûreté nationale qui relèvent d'un patron civil, Abdelhafid Ben Hachem, comme premier responsable. Pour les autres, ce sont les généraux Ahmed Harchi, Hamidou Laânigri, Ahrouch Ben Ali et Belbachir, qui officient, respectivement à la tête de la DGED, de la DST, des 2ème et 5ème bureaux. Le ministre délégué à l’Intérieur, Fouad Ali El Himma, est, lui, la personne chargée de la coordination entre certains services de sécurité. Pas tous.Qu'elles opèrent sur le territoire national ou à l'extérieur, tous ces services font du renseignement leur ressource première et leur principal matériau de travail.Tous ont pour mission la sauvegarde de la sécurité intérieure et extérieure du pays et la protection de son patrimoine économique. Y a-t-il double emploi entre tous ces services qui portent bien leurs noms, ou bien existe-t-il une coordination secrète par définition?Quel est le cursus de formation des hommes qui y travaillent? Ont-ils la maîtrise des nouvelles technologies de l'information et disposent-ils de l'équipement qui va avec? Étant des corps constitués de militaires et de para-militaires, représentants des pouvoirs régaliens de l'État, dérogeant aux statuts, lois et règlements de la fonction publique, ont-ils, ces soldats de l'ombre, un système de valeurs professionnelles, un référentiel d'éthique sociale, des conditions adéquates de travail et d'existence?Il y a quelques années encore, il était impossible de poser ce genre de questions, encore moins de trouver matière à y répondre. Les services secrets, encore plus que leur nom l'indique, appartenaient à un monde occulte qui inspirait la peur; un univers virtuel dont on savait l'existence, mais qu'il valait mieux ne pas évoquer, même pas de bouche à oreille, car aucune oreille n'était fiable.C'est que ces services, dans leur immense déploiement interne et externe, étaient braqués sur des nationaux, opposants par conviction politique et par principe idéologique. Ils en avaient fait une priorité, presque un “centre d'intérêt" exclusif. La guerre froide qui régentait le monde, entre marxisme révolutionnaire, occidentalisme libéral et baâthisme arabe, avait des relents très chaud au Maroc. Ce sont les années de plomb, avec leur cortège dramatique et leurs cicatrices par encore refermées.

Danger

À quoi a-t-on échappé, au prix de quels dérapages et qu'avons-nous eu en échange? L'interrogation reste ouverte. L'important est qu'elle se fait aujourd'hui à livre ouvert, librement et publiquement. C'est cela qui a changé, au Maroc comme un peu partout dans le monde.On peut donc parler des services secrets et du recentrage de leur mission par rapport aux nouvelles réalités nationales et internationales. La réconciliation entre l'État et la société, inaugurée en 1994 avec l'amnistie générale et le retour des exilés politiques, l'institutionnalisation des droits de l'Homme et l'extension des espaces de libertés, ne pouvaient pas ne pas déteindre positivement sur la mentalité et les méthodes des services.Ce qui empêche une évolution rapide dans ce sens, ce n'est rien d'autre que le danger intégriste.Il a été dit et écrit que les services marocains, face aux activistes intégristes, au Maroc ou à Guantanamo, sont plus “efficaces" à l'interrogatoire. Une manière de dire que nos agents secrets, face aux talibans marocains, soutirent les aveux en même temps que les ongles et quelques bouts d'orteils. À vérifier.

Exterminateurs

S'il y a avait obligation de s'intéresser à nos barbus internationalistes et à leurs éventuelles ramifications au Maroc, pour la sécurité du pays et de ses citoyens, rien ne justifie, par contre, l'atteinte à l'intégrité physique d'une personne, ou que la torture remplace les procédures judiciaires universellement reconnues.Mais il y a, malgré cette pétition de principe, un problème. En fait, il y en a trois. Un: L'enfermement des milices armées de Ben Laden dans une sorte de no man's land et sans autre forme de procès prévisible, est une situation de non droit. Deux: Les Américains les premiers se rappellent que leurs GI's ont été des anges exterminateurs au Vietnam où ils ont commis des atrocités assimilables à des crimes contre l'humanité. Trois, et cela nous concerne particulièrement: Lorsque vous êtes face à un barbu illuminé, décidé à provoquer la première étincelle pour sonner le réveil de ses réseaux dormants et mettre le pays à feu et à sang; vous faites quoi? Vous discutez avec lui sur les significations métaphysiques du bien et du mal, ou vous le neutralisez. “Généralement", les services, au Maroc, comme partout ailleurs, optent pour la deuxième alternative.S'il y a dépassement du droit, la démocratie, du haut de toutes ses fragilités intrinsèques et salutaires, permet aux défenseurs des droits de l'Homme toutes les formes de dénonciation et d'intervention.Dans le Maroc d'aujourd'hui, les services secrets ne sont plus ce tabou qui relève d'un pouvoir discrétionnaire transcendantal. Certains patrons de ces services sont même beaucoup moins secrets que leurs prédécesseurs qui étaient, eux, complètement immatériels. Ils n'avaient ni visages reconnaissables, ni photos publiables. On avance donc.

Mal

On peut même espérer avoir, dans la foulée, et une police citoyenne et des services citoyens. Mais il y a tout de même des limites au rêve éveillé de type cité idéale. La nature humaine ne s'y prête pas beaucoup. La citoyenneté des services, y compris dans les sociétés démocratiquement avancées, est un peu spéciale. Par la force des choses, pourrait-on dire.Aussi, ces services sont-ils perçus, comme le souligne le chef de la DGSE française (voir interview page 7) comme “un mal nécessaire". “Mal" pour qui, et “nécessaire" pour quoi? Deux mots pour deux extrêmes où s'intercalent les services.Sans verser dans le machiavélisme éclectique et intéressé de George Bush et ses “axes du mal", disons simplement que s'il y a une “nécessité", c'est qu'il y a un “mal" quelque part. Parlons clairement. L'obscurantisme intégriste, violent et régressif, est un “mal". Nous y sommes exposés et nous voulons nous en prémunir. Mais l'arrogance américaine et son appui systématique à la barbarie sioniste est un autre “mal" que nous ne pouvons admettre. Nous sommes, nous autres arabo-islamo-marocains, pris entre les deux. Un équilibrisme pas facile. Un équilibrisme que les politiques et la société civile, mais aussi les services secrets, qui sont, eux, en position avancée, doivent gérer

La DST, surveillance à trois étages

Taeïb Chadi

Après le démantèlement du CAB 1 en 1972, la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST), communément connue sous le sigle de la DST, a été créée le 12 janvier 1973 par un dahir portant loi n° 1-73-10. La DST est rattachée au ministère de l’Intérieur. Ella a pour mission de: «veiller à la sauvegarde et à la protection de la sûreté de l’Etat et de ses institutions». La DST est placée sous l’autorité d’un directeur général. Elle comprend, en plus du cabinet du directeur, des services centraux et des brigades territoriales. Le décret d’application signé par Ahmed Osman fixe les attributions de cette administration. Ainsi, la DST a-t-elle pour compétence la recherche et la prévention, sur le territoire du Royaume, «des activités inspirées, engagées ou soutenues par des puissances étrangères et de nature à menacer la sécurité du pays», et plus généralement, de lutter contre ces activités. Concrètement, la mission de la DST est de trois types: contre-espionnage, contre-terrorisme, protection du patrimoine économique et scientifique.

Écoutes

Les résultats de ses investigations sont tenus rigoureusement secrets. la DST possède son propre service d'écoutes radio, la PCR (Police des Communications Radioéléctriques), chargé de fournir aux départements concernés des rapports de toutes natures sur les communications nationales et internationales.Placé sous la tutelle administrative du ministre de l’Intérieur, la DST est une direction active de la sûreté nationale comprenant des fonctionnaires appartenant à tous les corps de la police (commissaires, officiers, brigadiers et gardiens). L’organisation et le fonctionnement de ses services sont couverts par la classification du secret-défense. Son quartier-général est situé à Témara. Ses brigades territoriales sont implantées dans chaque province, chaque préfecture, chaque wilaya. Ses 8500 agents sont bien installés dans les ministères, préfectures, aéroports, hôtels et clubs privés.Le patron actuel de la DST est le général de division Hamidou Lâanigri, nommé en 1999. Il a succédé à Driss Basri qui avait toujours supervisé ce département à partir de son fauteuil de super ministre de l’Intérieur, avec, comme directeur adjoint, Abdelaziz Allabouch.

La DGED, toutes voiles dehors

La direction générale d’études et de documentation ( DGED). est officiellement chargée de «participer au maintien de la sécurité de l’Etat et de ses institutions». Elle comprend un cabinet du directeur général, une administration centrale et des représentations extérieures. Les attributions de la DGED sont fixées par le chef d’état-major général des Forces armées royales. C’est lui qui définit, également, le statut particulier des personnels de cette administration. L’image de la DGED auprès des Marocains a été toujours ténébreuse, terrible, voire mythique.C’est pour cela qu’il faut distinguer la réalité du métier d'agent de renseignements des clichés éculés sur des surhommes pilotant un avion de chasse en smoking. Autant dire que les personnages des films à la James Bond en prennent pour leur grade.La DGED emploierait 1600 civils et 2400 militaires, dont 5 % de femmes. La moyenne d'âge est de 43 ans. A ces effectifs, il faut ajouter les redoutables membres du «service Action», ces soldats invisibles, entraînés à ne pas se faire remarquer ou identifier.

Discrétion

Leur nombre n'est pas précisé : ils seraient entre 250 et 300, affectés à des missions de renseignement, d'assistance à des pays ou à des mouvements amis, et, pour finir, à des actions de reconnaissance, d'identification et de marquage d'objectifs de toute nature.Il ne s'agit pas forcément d'actions brutales, violentes ou sanglantes. La DGED s'est investie en Afrique, dans le monde arabe, en Europe ainsi qu'en Asie.Depuis quelques années, elle se veut plus active dans les zones de crise. En ayant recours au renseignement humain, technique, opérationnel ou à la coopération avec d'autres services, nationaux et étrangers.Des fonds alloués à la DGED par l’administration de la Défense, on ne saura rien. Mais on parle d’un budget officiel de 10 milliards de dirhams.Car la fameuse caisse noire de la DGED relève de la discrétion de son patron, le général de brigade Ahmed Harchi, lui-même connu pour son naturel réservé.